« Eux » et « Nous »
« Eux », ce sont les responsables de la crise. Et « Nous » sommes les victimes de la crise. Le manichéisme a encore une fois frappé. L’irresponsabilité aussi. Car il n’y a pas « Eux » et « Nous », il y a seulement des hommes et des femmes, dans tous les pays du monde démocratiques, qui ont décidé de donner leurs pouvoirs à leurs représentants afin d’agir en leurs noms. Cela s’appelle la démocratie représentative ou, pour certains penseurs comme Sieyès, le système représentatif puisqu’ils estiment que la démocratie, la vraie, est un système où le citoyen prend lui-même les décisions. On appelle ça, de nos jours, la « démocratie directe » par rapport à la « démocratie représentative ».
Ce n’est pas seulement une bataille de mots pour le plaisir de disserter. Si nous sommes dans un système représentatif, celui qui semble le mieux adapté à une société complexe où la division du travail et le partage des tâches sont une nécessité (non, nous ne pouvons pas être, à la fois, boulanger, boucher, épicier, agriculteur, pompiste et chef de l’Etat !), nous ne sommes pourtant pas les victimes irresponsables des agissements de nos gouvernants comme nous voulons le faire croire quand tout va mal. Ni les victimes innocentes de méchants boursicoteurs ou de va-t-en-guerres dangereux. Car « Nous » avons du pouvoir mais nous ne voulons pas l’exercer. Et, au fil du temps, nous avons réclamé une plus grande indépendance vis-à-vis de la société (cela s’appelle l’individualisme et la « postmodernité ») qui nous permet de nous créer une sorte de sphère indépendante et totalement égocentrique mais aussi une citoyenneté à mi-temps où nous ne nous occupons de ce que nous voulons et, non pas, de ce que nous devons. Car, contrôler nos gouvernants est le devoir des gouvernés. Il ne s’agit pas de leur donner un « mandat impératif » (où un gouvernant-mandataire ne peut prendre que des mesures précises que ses gouvernés-mandants lui ont donné) qui ne peut évidemment pas fonctionner dans un monde complexe où nous ne savons jamais de quoi est fait le lendemain et qui paralyserait le fonctionnement politique et de l’Etat mais de trois choses essentielles dans un système représentatif : nous tenir au courant, savoir pour qui on vote et contrôler le fonctionnement de nos élus.
Nous tenir au courant, c’est pouvoir s’informer librement et complètement. L’information libre (presse, audiovisuel, livres, débats, discussions, etc.) est la base grâce à laquelle le citoyen responsable sait pour qui il vote. Si nous ne savons pas ce qui se passe autour de nous, quels sont les problèmes, quelles peuvent être les solutions, alors nous ne sommes pas capables de savoir ce que nous voulons. Dès lors, nous voterons pour des gens qui ne défendrons pas nos points de vue mais qui nous proposerons les leurs auxquels nous ne pourrons qu’adhérer, même si c’est a minima, tout en ne sachant pas s’ils sont ou non bons pour nous.
Savoir pour qui on vote, ce n’est pas croire en telle ou telle personnalité politique. La croyance n’est pas, en matière politique, un fonctionnement rationnel. Bien sûr, nous n’éliminerons jamais ce facteur croyance mais il doit être supplanté par une analyse des capacités et des promesses faites par ceux qui nous demandent de les élire. Si ce travail était fait sérieusement, cela éliminerait beaucoup de démagogues et obligerait les politiques à un travail beaucoup plus sérieux et responsable. Cela nous permettrait aussi d’imposer un certain nombre de nos points de vue.
Mais, une fois que nous avons voté, notre « travail » de citoyen n’est pas fini comme le croient la plupart d’entre nous qui se muent alors en pauvres victimes irresponsables qui pestent devant des politiques qui ne prennent pas les bonnes mesures et qui permettent aux escrocs et aux criminels de pulluler autour de nous. Non, notre contrôle de citoyen libre et responsable commence pour éviter les dérives des promesses non tenues, de la corruption et du mauvais gouvernement. Nous pouvons intervenir en dénonçant les dysfonctionnements, les changements de cap, les erreurs, en proposant des solutions en étant, en fait, une vraie « opinion publique », c’est-à-dire responsable et capable d’une réflexion, imposant à nos élus de bien gouverner dans un bon gouvernement et dans la voie pour laquelle nous les avons installés au pouvoir. Et c’est tout à fait réalisable. Par exemple, en investissant le secteur associatif en créant des structures d’analyses, de contrôles et de propositions. Alors nous remplirons ce devoir de contrôle sans lequel le système représentatif ne devient qu’un système plébiscitaire où une caste politique se présente devant nous toutes les x années pour se partager des emplois comme n’importe quel demandeur d’emploi devant un patron mais un patron qui, ici, renoncerait ensuite à contrôler le travail de son employé en lui laissant faire ce qu’il veut…
Bien entendu, il est beaucoup plus confortable d’être une victime innocente qui ferme ses yeux, met du coton dans ses oreilles et se bouche le nez tout en ouvrant la bouche pour pleurer et se lamenter sur son sort de cocue politique, sacrifiée sur l’autel des intérêts maléfiques des « Eux », les méchants. Mais si nous avons un tant soit peu d’amour propre, prenons-nous en d’abord à « Nous » avant d’attaquer les « Eux » et travaillons à n’être pas de simples citoyens mais des citoyens libres et responsables. Deux adjectifs qui font toute la différence…
Alexandre Vatimbella