L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Les ombres ténébreuses de la dictacratie populiste menacent l’Europe
Certains observateurs de la vie politique ont ressorti récemment un vieux concept des années 1950, «démocrature» (mélangeant les termes démocratie et dictature dans cet ordre), pour parler de ce que d’autres, à la suite de l’Américain Fareed Za-karia, ont baptisé de «démocratie illibérale» en réinterprétant sa définition (lui-mêmee ayant réinterprété celle de Pierre Ronsanvallon), notion impropre et improbable – puisque, par définition, la démocratie dans l’acceptation moderne de sa signification, est libérale par essence, protectrice des droits de la minorité et pas seulement liée à la tenue d’élections –, afin de caractériser cette chape de plomb avec laquelle les extrémistes populistes sont en train d’étouffer les démocraties républicaines dans beaucoup de pays de la planète et notamment dans l’Union européenne. Pour ma part, je préfère l’appellation dictacratie populiste.
Il ne s’agit d’inventer un label pour se faire plaisir ou pour s’opposer à d’autres mais de caractériser plus justement un mouvement qui allie d’abord les mécanismes et les principes de la dictature puis ceux de la démocratie (en les instrumentalisant) dans cet ordre et qui en appelle à la «révolte» – qui est plutôt une émeute doublée d’une défiance dans les valeurs démocratiques – d’un «peuple» qui est plutôt une foule portée plus par la haine qu’autre chose. Un choix de terminologie parce qu’il est plus proche de ce que recherchent ces der-nières années un Orban en Hongrie, un Kazcynski en Pologne, un Salvini en Italie, des Le Pen en France, un Farage au Royaume Uni, un Abascal en Espagne, un Meuthen en Allemagne et autres personnages du même acabit comme Poutine en Russie, Erdogan en Turquie, Duterte aux Philippines (liste non-limitative…), certains étant au pouvoir, d’autres à sa porte, d’autres en pleine dynamique électorale. Et les élections au Parlement européen du 26 mai devraient encore les favoriser et donner une image plus exacte de ce qu’ils représentent actuellement dans l’Union européenne. Si leur montée en puissance date de la fin du XX° siècle et du début du deuxième millénaire, nous ne devons jamais oublier que leurs ombres ténébreuses planes au-dessus des démocraties républicaines depuis toujours et que la relative faiblesse conjoncturelle de ce mouvement tient à sa défaite lors de la Deuxième guerre mon-diale, en Allemagne, en Italie et au Japon. Mais lors de cette défaite historique, l’Espagne de Franco s’en tira déjà sans aucun dommage… Or donc, ces ennemis de la démocratie républicaine retrouvent malheureusement leur ancienne place et force. Malheureusement, parce que l’on aurait espéré que les ravages du dernier conflit mondial, celui qui a duré de 1914 à 1945 comme la plupart des historiens considè-rent que les deux guerres n’en sont en réalité qu’une, avait éloigné le spectre du totalitarisme, de l’autoritarisme et du populisme pour des lustres qui se révélèrent tout au plus deux décennies. La désignation de Barry Goldwater, homme de la droite extrême par le Parti républi-cain comme son candidat à la présidentielle américaine de date de 1964 et peut être en effet considérée comme un moment-clé dans la «plus vielle démocratie du monde» puisqu’elle a permis, par la suite, les élections à la Maison blance de Ronald Reagan, George W Bush et Donald Trump. Cela n’a pas été le cas et ne le sera pas avant longtemps. Dès lors, tous ceux qui croient malgré tout en la démocratie républicaine doivent reprendre le combat de ceux qui courageusement l’ont fait au siècle dernier et avant, un combat qui ne doit pas faiblir, on voit aujourd’hui ce qu’il en est d’avoir sous-estimé la renaissance de l’hydre hideux. Cependant, comme ce fut le cas lors de la montée des périls entre 1918 et 1939, une partie de la Gauche et une partie de la Droite ont déjà renoncé préférant s’attaquer au libéralisme plutôt qu’au totalitarisme, à l’humanisme plutôt qu’à la haine de l’autre. Du coup, l’axe central (allant des libéraux de droite aux libéraux de gauche en pas-sant par le Centre) est désormais quasiment seul en première ligne pour défendre la démocratie républicaine. On doit espérer que les électeurs européens ne vont pas l’oublier (et ne l’ont pas oublié pour ceux qui ont déjà mis leur bulletin dans l’urne) parce qu’une victoire des tenants d’une dictacratie serait une bien mauvaise nouvelle pour l’Europe mais aussi pour le monde.