Et si le principal échec d’Obama était la condition des noirs
Jimmy Fallon, l’animateur vedette du célèbre talk-show «The tonight show» sur la chaîne NBC, se demandait récemment à propos de Barack Obama, en plaisantant tout en se moquant des adversaires de ce dernier, si celui-ci laisserait une marque dans l’Histoire, lui, le premier président noir des Etats-Unis…
Pourtant, au moment même où l’hôte de la Maison blanche vient d’enregistrer, coup sur coup en une semaine, trois victoires importantes (pouvoirs étendus pour négocier le traité de libre-échange de la zone pacifique, validation par la Cour suprême de sa loi sur l’assurance santé et du mariage gay) et que sa présidence a connu d’autres succès notables (comme le redémarrage de l’économie après la Grande récession de 2008 ou le sauvetage de l’industrie automobile sans parler de sa réélection dans un fauteuil en 2012 dans un contexte difficile), il semble bien qu’un des échecs les plus cinglants de sa présidence, au vu des événements dramatiques qui se sont succédé ces trois dernières années, surtout ces derniers mois, concerne la condition de la communauté afro-américaine, la sienne (Obama est métis, père noir, mère blanche, mais il s’est toujours défini comme noir dans les recensements comme la loi américaine le lui permet).
Il faut rappeler en préambule que Barack Obama a toujours refusé d’être considéré comme un «président noir» et, surtout, comme «le président des noirs».
Pour lui, le caractère historique de son élection en tant que premier Afro-américain à s’installer dans le fauteuil du bureau ovale est indéniable et constitue autant une grande victoire qu’une grande fierté mais il ne s’agissait pas d’une finalité.
De même, il n’a jamais voulu être «seulement» un objet de curiosité historique en étant d’abord catalogué comme «premier président noir», ainsi que le furent nombre de noirs élus pour la première fois à diverses fonctions à travers le pays et dont les mandats ne furent malheureusement pas à la hauteur des espoirs suscités par leur élection.
Et puis, il ne faut surtout pas oublier l’épisode Jeremiah Wright. La polémique à propos des sermons incendiaires vis-à-vis de l’Amérique et des blancs, du pasteur noir de l’église à laquelle il était affilié faillirent lui coûter son élection.
Ce n’est que par un discours brillant sur la race et les religions prononcé en mars 2008 à Philadelphie qu’il réussit à s’en sortir.
«J’ai choisi, expliqua-t-il alors, de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que nous ne pourrons parfaire l’union que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants».
Plus loin, il indiqua: «Le révérend Jeremiah Wright ne fait pas que se tromper, ses propos sèment la discorde à un moment où nous devons trouver ensemble des solutions à nos énormes problèmes: deux guerres, une menace terroriste, une économie défaillante, une crise chronique du système de santé, un changement climatique aux conséquences désastreuses. Ces problèmes ne sont ni noirs ni blancs, ni hispaniques ni asiatiques mais ce sont des problèmes qui nous concernent tous».
Car, il faut bien comprendre que par-dessus tout, Barack Obama souhaitait profondément être le président de tous les Américains.
Pas seulement pour éviter de tomber dans un communautarisme qui aurait plombé sa présidence d’abord en ne faisant de lui que le porte-parole de la communauté noire – tout en étant phagocyté par celle-ci –, ensuite en étant constamment critiqué et contré par ses adversaires républicains comme le président de la revanche de cette même communauté.
Au risque, bien sûr, de mécontenter les Afro-américains qui attendaient beaucoup de sa présidence – même si certains lui contestaient sa place à leurs côtés, n’étant pas un descendant d’esclave mais le fils d’un Kényan – et dont nombre ont été déçus, ne ménageant pas leur critique à son encontre au fil des ans alors que le racisme ne faiblissait pas et que la situation économique et sociale de la communauté noire n’évoluait guère positivement.
Mais il s’agit, avant tout, d’une incompréhension de qui est Obama et de son ambition qu’il a maintes fois évoquée d’être un président qui ouvrirait une nouvelle ère en ce début de XXI° siècle, à tous ses concitoyens sans exclusive.
Le «Yes we can» («Oui nous le pouvons») et le «Change we can believe in» («Le changement auquel nous pouvons croire»), les deux slogans principaux de sa campagne de 2008, s’adressaient dans son esprit sans aucune équivoque à toute l’Amérique.
Cela provient, avant tout, de son positionnement centriste assumé, de sa volonté de moderniser les Etats-Unis en impliquant tous les Américains. C’est aussi pourquoi, pendant longtemps, au nom de son centrisme progressiste, il tendit la main aux républicains pour réformer avec eux le pays de manière équilibrée et que ceux-ci en profitèrent pour faire de l’obstruction et de l’opposition systématiques, le faisant passer pour un faible là où il recherchait le meilleur consensus pour le bien de la nation américaine.
De plus, pour lui, il faut que le premier président noir des Etats-Unis soit, dans l'Histoire, un président qui a réussi et qui a gouverné pour tout le peuple américain. Ce n'est que comme cela qu'il pourra le mieux changer radicalement l'avenir de la communauté afro-américaine à jamais.
D’autant qu’il faut ajouter que s’il se sent sans conteste très concerné par la condition des Afro-américains (en témoigne son emploi de travailleur social dans les quartiers noirs défavorisés de Chicago), il n’a jamais été un militant de celle-ci au même titre que les Frederick Douglass, Booker T Washington, W.E.B. Du bois, Marcus Garvey, Malcom X ou Jesse Jackson qui se présenta deux fois aux primaires démocrates et termina en deuxième position en 1988.
On peut même dire qu’il n’est pas un autre Martin Luther King même s’il est proche de sa vision des rapport humains, de sa non-violence mais pas de son engagement très à gauche et encore moins de sa critique virulente du capitalisme de la fin de la vie du pasteur natif d’Atlanta.
Tout cela explique qu’il a souvent refusé de prendre des mesures qui seraient apparues comme uniquement en faveur des Afro-américains, qu’il a tenté de garder constamment une balance équitable lors de questions touchant à des confrontations entre les noirs et les autres communautés (principalement la blanche) et qu’il s’est refusé à stigmatiser l’Amérique blanche ou latino contre l’Amérique noire même lors d’événements dramatiques comme la mort du jeune noir de 17 ans, Trayvon Martin en 2012, par exemple.
Ce positionnent lui a attiré de très nombreuses critiques de nombre de leaders de la communauté noire et des antiracistes.
Bien entendu, il n’a jamais oublié tout le racisme d’une partie de la population qui s’est manifesté lors de sa campagne de 2008 (comme dans un reportage d’une télévision américaine où des couples blancs du Sud expliquaient qu’«un noir, comme une femme, ça ne doit pas s’occuper de politique»!) ainsi que lors de son élection et qui a continué depuis avec des propos d’une violence inouïe sur sa personne et son action (tout en évitant, souvent, d’être frontalement racistes pour être condamnables et condamnés, la liberté d’expression étant un dogme de la démocratie étasunienne).
De même, il n’a jamais cru que son élection avait soudainement fait passer les Etats-Unis dans une ère post-raciale où le racisme et la condition précaire de nombreux noirs allaient disparaitre comme par enchantement.
Pour autant, depuis le début de son second mandat, il a été obligé d’évoluer sur cette question.
Ainsi, après la mort le 9 août 2014 à Ferguson de Michael Brown, un jeune noir tué par un policier blanc, il a été confronté à la grogne des Afro-américains qui s’est traduite dans les sondages par une baisse importante de confiance que ceux-ci lui accordent en matière de problème raciaux (de 77% d’opinions positives en août 2014, il est passé à 57% en décembre de la même année selon l’institut Pew).
Surtout la tuerie récente dans une église noire de Charleston en Caroline du Sud a contraint Obama à monter au créneau de manière forte avec un discours plus offensif.
«Nous ne sommes pas guéri du racisme, a-t-il déclaré lors d’une interview dans une émission de radio. Et ce n’est pas simplement une question de politesse de dire ‘nègre’ en public. (…) Ce n’est pas de savoir si le racisme existe encore ou non. Ce n’est pas juste un problème de discrimination manifeste. Les sociétés, en une nuit, n’éradiquent pas complètement des choses qui existent depuis deux cents à trois cents ans».
Dans le même temps, il a rejoint ceux qui demandent l’abandon par les Etats du Sud, du drapeau confédéré, symbole des pro-esclavagistes lors de la Guerre de sécession et des racistes depuis lors.
Car, à deux ans du terme de son mandat et alors qu’il ne sollicitera plus les voix des Américains, il semble vouloir faire du problème racial (aux Etats-Unis on continue à parler de race sans connotation raciste), une des priorités de la fin de sa présidence.
Mais il sait qu’il doit peser ses mots et ses interventions pour ne pas mettre de l’huile sur le feu alors même qu’il serait légitime à stigmatiser plus fortement certains comportements, ce qui pourrait être utilisé ensuite pour lui reprocher d’avoir lui-même initié des réactions violentes.
En revanche, il peut évidemment délivrer une parole humaniste ferme en tentant de faire prendre conscience à ses concitoyens de l’urgence de construire cette fameuse Amérique post-raciale.
Cependant, son action demeure très limitée comme l’aurait été celle de n’importe quel autre président, qu’il soit blanc, qu’il soit noir ou d’une autre couleur.
Car, ici, l’on touche à des questions que seule une société qui accepte de réfléchir sur elle-même peut régler en profondeur même si, bien entendu, ses leaders et ses dirigeants ont un rôle à jouer.
Mais ce n’est pas qu’une question qui se pose qu’aux Etats-Unis et encore moins à un homme, fut-il le président de la première puissance mondiale.
Reste que si Obama n’a pas révolutionné les rapports entre les communautés, il a permis une chose extraordinaire: aujourd’hui, n’importe quel enfant noir de l’Amérique peut désormais rêver d’être un jour à la Maison blanche sans qu’on le prenne pour un fou.
Voilà un espoir formidable mais aussi, désormais, comme l’a toujours affirmé Barack Obama, une grande responsabilité pour la communauté afro-américaine.
C’est en comprenant bien que ces deux faces de son élection historique sont aussi importantes pour lui que l’on saisit sa relation avec le long chemin de l’émancipation des noirs et de la fin des discriminations à leur encontre.
Alexandre Vatimbella
Voir le site Le Centrisme