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La France Réconciliée - Page 75

  • Tout se passe-t-il au centre ?

    Où va se passer l’élection présidentielle ? A Droite, à Gauche, au Centre ? Sur les valeurs, sur l’économie, sur la sécurité, sur le social ? Au regard des qualités des candidats ou de leur image sur papier glacé (un femme, un fonceur, un rassembleur, etc.). Il est souvent difficile de prédire ce qui sera, en fin de compte, l’élément essentiel qui déterminera le corps électoral à choisir un candidat parmi les autres. Reste que plusieurs indices montrent que le positionnement au centre risque de (re)jouer un rôle majeur en 2007.

    Bien évidemment, comme d’habitude, les candidats vont ratisser large avec un discours à la fois « marqué » pour mobiliser l’électorat traditionnel de leur camp et « consensuel » pour ratisser le plus large possible, vers cet électorat « modéré » qui se situe au centre de l’échiquier politique. Mais, ce qui risque d’être nouveau en avril prochain, c’est le rôle central du discours consensuel.

    Alors que les temps étaient récemment à une distinction tranchée, droite contre gauche, il semble que le balancier politique soit de nouveau stabilisé au centre. C’est ce que semble, en tout cas, signifier les résultats des récentes élections à mi-mandat américaines et c’est ce que semblent montrer les positionnements des différents candidats à l’élection présidentielle de 2007. Serions-nous enfin dans l’universalité de la « Troisième voie » chère à Bill Clinton, celle qui fut reprise par un Tony Blair qui édifia son « blairisme » sur ce socle ? Universalité qui serait d’autant plus prégnante que l’évolution de la Droite et de la Gauche se fait, depuis des années, vers le Centre et non vers les extrêmes, ce qui permet, d’ailleurs, la résurgence des partis extrémistes des deux côtés du spectre politique. Mais, même s’il ne faut pas nier ce mouvement, reste que Droite et Gauche ne sont pas le Centre.

    Qu’est-ce donc que le Centre exactement ? Cette question est loin d’être sans intérêt puisqu’un candidat à l’élection présidentielle, François Bayrou, revendique cette étiquette (« centriste révolutionnaire », précise-t-il) et que les médias – en attendant, peut-être, les électeurs – lui porte de plus en plus une attention particulière. Rappelons, rapidement, que le Centre est aussi vieux que la Droite et la Gauche. Il naquit, comme ses deux compères, lors de la Révolution et fut même la force politique dominante à l’Assemblée Constituante.

    Souvent, le Centre a été défini comme une mouvance souple qui pratiquait le compromis, voire la compromission. Ses dirigeants étaient plutôt associés à des hommes politiques ambitieux qui, comme un Edgar Faure, pouvaient naviguer sans aucun scrupule de gauche à droite selon les modes politiques et les strapontins offerts (même si Edgar Faure fut un homme politique des plus brillants).

    Ce serait faire injure aux militants centristes que de ramener le Centrisme au seul opportunisme politique. Car, être au Centre, c’est se définir comme un humaniste qui recherche avant tout à réconcilier les citoyens, à les faire avancer tous ensemble, même si leurs intérêts individuels peuvent être divergents, afin de bâtir une société équilibrée où chacun doit avoir la sensation qu’il compte et que ses revendications sont prises en compte. C’est bâtir une communauté réconciliée parce qu’unie dans un même élan solidaire permettant l’épanouissement de chacun.

    Dès lors, le Centre est une pensée éminemment unitaire et pragmatique, un libéralisme social par évidence. Libéral parce que le Centre reconnaît que le moteur du progrès et de l’évolution de la société passe par la liberté. Social parce que le Centre sait que la sécurité des citoyens, à tous les niveaux, passe par la solidarité et une organisation qui ne laisse personne sur les côtés de la route.

    Une fois le Centre défini, on voit que n’y est pas qui veut. Et si l’élection se fait au centre, ceux qui essaient de ratisser large ne le font souvent que pour obtenir les quelques voix qui feront la différence. Car la plupart des candidats sont des diviseurs et non des rassembleurs même s’ils affirment le contraire. Proposer, par exemple, dans des slogans réducteurs de « faire payer les riches » ou de « remettre la France au travail », c’est nier, d’un côté, la liberté nécessaire au bien être du pays et, de l’autre, injurier ceux qui travaillent dur ou ceux qui ne parviennent pas à trouver un emploi.

    C’est pourquoi, seul le Centre, dans une politique de juste équilibre, peut réconcilier les Français entre eux, réconcilier les Français avec leur pays, réconcilier les Français avec la politique. Seule cette dernière réconciliation peut permettre de gérer le présent en pensant à l’avenir et de prévoir l’avenir en construisant le présent. Et les défis ne manquent pas…


    Alexandre Vatimbella

  • Inventer un futur de fraternité

    Tentons modestement de prendre de la hauteur. Le monde du XXI° siècle est le fruit d’une mutation de grande ampleur qui a débuté dans le courant du XIX° siècle. Cette mutation a engendré des adaptations successives, parfois en continue, parfois par paliers, des sociétés et des personnes. Depuis quelques décennies, dans ce que nous pouvons appeler sans conteste un « nouveau monde », des questions fondamentales sur l’humain et son existence se posent avec plus d’acuité. Celle qui semble la plus importante, voire la plus urgente à résoudre, est l’avenir de la planète, notre avenir. Depuis que l’être humain peut détruire consciemment ou inconsciemment le monde (guerre nucléaire, destruction de l’environnement à grande échelle) et transformer son essence (avec la biologie et la génétique), l’humanité n’a en effet pas pu ou voulu s’unir pour résoudre les problèmes cruciaux qui ne pourront l’être qu’avec l’aide et la participation de tous les habitants de la planète. C’est la seule porte de sortie vers le haut, c’est-à-dire pacifiquement. L’autre porte de sortie est l’éclatement d’un conflit généralisé qui « rééquilibrera » le monde comme cela s’est produit tout au long de l’histoire. Ce qui permet de dire à certains que la guerre fera toujours partie de l’environnement humain.

    Cependant, nous ne devons pas être dupe, non plus, d’un discours du catastrophisme (« tout va mal ») et de la mémoire courte (« c’était mieux avant »). Le monde tel qu’il est aujourd’hui est meilleur que celui dans lequel vivaient nos ancêtres sauf peut-être pour la classe la plus favorisée et encore. Tout simplement parce que six milliards de personnes n’auraient jamais pu vivre ensemble il y a même cinquante ou soixante ans. L’espérance de vie ayant déjà explosée à l’époque, gageons qu’une grande partie serait morte de maladies, de faim, de manque d’hygiène, etc. Donc, une partie des gens qui vivent aujourd’hui et se plaignent de leur sort ne serait même plus en vie, pire, n’aurait jamais existé pour se plaindre ! Sans doute, certains penseront que cela aurait été mieux sauf, sans doute, s’ils avaient été les sacrifiés... Désormais, selon les experts, l’âge auquel on devient « vieux » est de soixante-quinze ans et il devrait continuer à croître. Ce qui, par ailleurs, pose avec force l’organisation de la vie, notamment celle du travail.

    Le produit du « progrès » est la société d’aujourd’hui. Maîtriser cette dernière est effectivement important mais pourquoi faire ? Revenir en arrière ? Continuer à aller de l’avant ? Mais quel arrière ? Quel avant ? Les sciences, la technologie, la biologie ont changé notre rapport à l’environnement et à la vie engendrant des espoirs mais aussi des peurs. Des avancées ont eu lieu mais sont apparues de nouvelles problématiques. L’électricité, le téléphone, l’électronique, l’ordinateur, la télévision, la voiture, l’avion, les antibiotiques, l’hygiène, parmi tant d’autres, ont bouleversé positivement notre vie. Tout comme l’installation du chauffage, de l’eau courante ou de salle de bains dans les logements et la présence du réfrigérateur congélateur dans la cuisine. Qui peut réellement prétendre en toute connaissance de cause et sans catastrophisme démagogique que nous serions plus malheureux ?

    Reste que beaucoup de problèmes d’aujourd’hui proviennent de l’évolution de nos sociétés et du progrès économique, social, technique et scientifique qui ont permis l’émergence de sociétés plus riches et de formidables avancées, des avancées spectaculaires dans l’allongement de la durée de vie et dans la santé des humains avec leur nombre de plus en plus grand. Toute réflexion sur les problèmes d’aujourd’hui comme les problèmes environnementaux, les problèmes de richesse, etc. doit se demander où nous en serions sans les évolutions du XIX° et du XX° siècles. Le risque inhérent à notre présence sur terre fait que nous sommes mortels et que nous créons depuis toujours des conditions à notre disparition (avec une bonne hygiène, la peste de 1346 n’aurait pas eu de telles répercussions). Mais comment juger et faire des choses quand notre espérance de vie est passée de trente à quatre-vingt-dix ans ce qui a généré de nouveaux défis.

    D’autant que nous sommes également, nous les Français mais aussi nous les Européens et nous les Occidentaux, responsables de ce qui nous arrive (baisse démographique, baisse du travail etc.). C’est nous, par exemple, qui avons voulu la mondialisation, d’abord pour inonder la planète de nos produits à la fin du XIX° siècle puis pour les fabriquer moins cher à l’étranger dès le milieu du XX° siècle et faire encore plus de profit, pour acheter moins cher et vivre dans un confort encore plus grand. Et d’ailleurs, cette mondialisation a eu des effets largement positifs sur le long terme.

    Reste que la mondialisation est en train de produire son contraire, le nationalisme économique. Que ce soit en Europe, aux Etats-Unis et même en Chine (les récents déboires du TGV et les problèmes de SEB voulant racheter une usine chinoise le démontrent) et en Inde (où Coca Cola et Pepsi sont victimes d’une campagne de dénigrement orchestrée par les partis ultra-nationalistes), on parle de préférence nationale, d’invasion étrangère et autres expressions qui nous renvoient à quelques années en arrière, au début du XX° siècle… Tout ça n’est guère réjouissant.

    Mais la mondialisation ne pourra vraiment réussir si elle n’a pas une dimension humaine. Celle-ci manque est c’est elle qui rend craintifs les peuples. Mais le nationalisme (qui n’a rien à voir avec la fierté d’appartenir à une communauté nationale) recèle tellement de dangers qu’il nous faut préférer la mondialisation quoiqu’il advienne. L’échange entre les peuples est toujours une ouverture vers l’autre. Le protectionnisme est la fermeture à l’autre, la méfiance de l’autre et le rejet de l’autre. Des éléments qui sont parmi les causes principales des guerres…

    De même pour la pollution et l’utilisation des ressources naturelles. Même si il est impossible de dire quel est le « meilleur » climat pour la Terre et que nous savons maintenant que des villes comme Paris étaient largement plus polluées au début du XX° siècle qu’elles le sont en ce début de troisième millénaire.

    Ce ne sont pas les autres pays qui sont responsables de nos problèmes, c’est nous.

    Notre angoisse pourtant est là. Il faut dire que le monde change, souvent à la vitesse grand V et les personnes, partout dans le monde, sont désorientées. Il n’y a pas qu’en France ou en Europe que les résistances sont importantes. Mais, en Europe, ancien continent dominant la planète au siècle précédent, le niveau de vie et les protections sociales ont créé une sorte de bulle de protection - arrachée souvent de haute lutte - à laquelle les peuples sont viscéralement attachés pour des raisons fort compréhensibles. Rappelons que les enquêtes d’opinion montrent que les Européens sont prêts à gagner moins pour plus de protection et de loisirs que les Américains.

    Les citoyens français sont aujourd’hui attachés à un confort et les clivages droite-gauche ne jouent plus pour les séparer sur ce terrain. Peu de gens veulent en effet moins de protection sociale, moins de sécurité, moins de guichets à la poste, etc. Nous sommes dans une société où la demande de sécurité et d’assistanat est d’autant plus importante que l’offre est plus importante qu’auparavant grâce au formidable enrichissement de nos sociétés. Revenir en arrière ou tout simplement figer les choses semblent impossible. D’autant que les gens n’ont plus confiance en l’avenir. Si demain n’est pas meilleur qu’aujourd’hui, pourquoi prendre des risques ? Il s’agit donc, pour réformer, de proposer une alternative et une vraie espérance. Mais, devant tant d’espoirs déçus, il est sûr que les citoyens ne sont pas prêts à se lancer dans le vide sans que les résultats précèdent leur changement de vision et de position. C’est donc à une certaine quadrature du cercle que nous sommes confrontés…

    Tout aussi inquiétant, les Français sont ceux qui acceptent le moins les règles du marché, qui sont les plus pessimistes sur leurs valeurs quant à les sauvegarder et dans ce quelles peuvent les sortir de la crise. Plus inquiétant car, outre le fait que l’on ne sait pas très bien par quoi on pourrait remplacer le marché, l’adaptation au monde est une nécessité lorsqu’on ne peut pas ou plus le contrôler.

    Dès lors, il faut proposer un « Contrat pour la France » et une relance de l’Europe. Et ce contrat, cette relance, pour s’attaquer aux problèmes intérieurs de la France comme aux problèmes du monde, doivent mettre en avant la notion de… fraternité ! Nous avons absolument besoin de fraternité ! Lien social dans le pays (si trop de liberté tue l’égalité et si trop d’égalité tue la liberté, c’est bien de fraternité, de lien social dont nous avons besoin), lien humain dans le monde (le devenir de nos civilisations en dépend et à terme le devenir de l’espèce), ces liens non seulement nous sauveront mais nous permettront de continuer à aller de l’avant, non pas parce que c’est mieux ou par une dévotion au dieu progrès mais parce que c’est la condition de la vie qui est un combat qui recommence tous les matins quand nous nous levons.

    Alexandre Vatimbella

  • Vieille et nécessaire globalisation


    « La globalisation est veille de plusieurs siècles, et la France y a largement contribué. (…) Les Français sont souvent à l’avant-garde de la création de produits qui symbolisent la mondialisation, que ce soit dans le domaine médical, aérospatial, l’alimentation ou même les OGM. » Ainsi parle Herrick Chapman, spécialiste de la France. Une position en porte-à-faux avec le sentiment partagée par la majorité des Français, relayé et étayé par l’opinion des élites. Mais l’historien américain ajoute une remarque fondamentale : « Finalement, il peut être utile de garder à l’esprit que la globalisation implique toujours un processus de diffusion internationale et une inventivité nationale. »

    Fondamentale cette remarque parce qu’elle situe le nœud de la problématique dans la capacité à innover. Pour être un acteur de la globalisation (terme de beaucoup préférable à celui de la mondialisation qui porte en lui une dimension de perte d’identité qui n’est pas dans le concept de globalisation), il faut être innovant. Car, le moteur même de la croissance économique (au même titre que le profit est le moteur de l’économie de marché) est l’innovation. Celle-ci permet de réorienter en permanence l’économie grâce à un renouvellement des besoins déjà satisfaits et la satisfaction de ceux qui ne le sont pas encore. C’est ce qui différencie notre monde en mouvement du monde de l’immobilisme qui existait avant la Renaissance en Europe.

    Et, mauvaise nouvelle, la France décroche de plus en plus dans ce domaine. Comme l’explique le brillant rapport de Christian Blanc « Pour un écosystème de la croissance » : « La perception d’une France trop peu compétitive repose avant tout sur son faible positionnement dans le domaine de l’innovation ». Et cette absence de compétitivité rend la France frileuse.

    Elle, qui se targue de son universalisme, est aussi une des nations où les citoyens sont les plus angoissés face à la globalisation. La peur qu’ils éprouvent est la preuve de leur manque de confiance en eux. Pour que la France se réconcilie avec elle-même, il faut qu’elle se réconcilie avec le monde qui l’entoure et qu’elle prenne cet universalisme moderne comme une chance plutôt que comme une menace. Il faut qu’elle retrouve les capacités d’innover qui furent les siennes tout au long du XIX° siècle et de la majeure partie du XX°.

    D’autant que les alternatives à cette globalisation se résument à se refermer, soit sur nous-mêmes ou, dans une vision moins étriquée mais tout aussi frileuse, soit sur un espace européen fermé par des barrières et des frontières de toutes sortes où nous serions, soi-disant, capables de vivre en autarcie en préservant un « modèle social » puisque tous les membres de ce club restreint possèderaient un développement économique et social plus ou moins identiques qui leur permettraient de ne pas se faire trop de « concurrence déloyale » et de vivre en bonne harmonie. Outre que ces fantasmes sont irréalisables et puériles tant nous dépendons de « l’étranger » pour de nombreux produits (comme les matières premières essentielles au bon fonctionnement de notre économie), notre modèle social si précieux pour certains tient principalement à ce que nous avons réussi à vendre à l’étranger.

    Ainsi, notre développement économique et social nous impose, en retour, de vendre plus que nous achetons. C’est de l’arithmétique élémentaire : dans le monde, le montant des exportations est nécessairement égal au montant des importations. Avec comme corollaire : Il a ceux qui gagnent (ceux qui ont une balance commerciale excédentaire) et ceux qui perdent (ceux qui ont une balance commerciale déficitaire). Et cela sera vrai – même pour les Etats-Unis où les experts ne se demandent plus si le système institué de vivre constamment à crédit avec un déficit abyssal va exploser mais quand il va exploser - tant que nous n’aurons pas bâti une fédération mondiale ou que, par magie, tous les pays auront une balance commerciale équilibrée avec des échanges commerciaux qui se compenseront les uns les autres entre tous les pays du monde. On peut toujours rêver !

    A ce propos, nous devons réaliser, même si nos bonnes consciences en prennent un vilain coup, que notre confort vient aussi de la pauvreté de certains pays et du fait que nous vendons à d’autres pays plus que nous ne leur achetons (parfois en leur prêtant l’argent nécessaire à leurs achats…). Ceci nourrit notre « modèle français » mais produit des inégalités et du sous-développement chronique que tous les sommets du G8 et leurs déclarations de bonnes intentions ne changeront pas tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen universel crédible pour mieux produire et mieux consommer sans que cela ne passe par produire et consommer plus. Avis aux postulants du prix Nobel d’économie…

    Sans doute notre prévention vis-à-vis de la globalisation vient de ce que nous avons une peur diffuse de ne plus être ceux qui la conduisent et la contrôlent comme ce fut le cas pendant longtemps. Cette absence de contrôle, tout relatif encore aujourd’hui, fait-elle de la globalisation une menace ? Non, car jusqu’à maintenant nous avons voulu et, mieux, nous avons concouru à sa mise en place et à son extension.

    Prenons l’exemple de la Chine. La version actualisée des « 700 millions de Chinois barbares envahissant le monde civilisés » des années 1960 est devenu, en ce second millénaire, « La Chine va s’emparer de l’économie mondiale au détriment de l’Occident et, notamment, de la France ». Bien entendu, dans cette nouvelle version, le fond de commerce demeure le même : une menace subie qui fera disparaître notre civilisation, au pire, notre art de vivre, au mieux.

    Or, rien n’est plus faux. Si la Chine exporte tous ces produits bon marchés qui remplissent nos linéaires mais aussi d’effroi les chefs d’entreprises et leurs salariés, c’est parce que nous l’avons voulu ! « Nous », ce sont l’ensemble des gouvernements occidentaux, des responsables économiques et des entreprises, des multinationales aux micro-entreprises ainsi que les consommateurs. L’empire du milieu n’aurait rien pu faire sans notre accord. Et celui-ci n’a pas été un cadeau mais plutôt un simple calcul digne d’une première année de maternelle. D’un côté, des coûts extrêmement bas pour fabriquer des produits qui ne coûteront pas cher (ce que demande de plus en plus le consommateur occidental…) et de l’autre un formidable marché de plus d’un milliards de consommateurs qui n’ont rien ou presque rien (ce que lorgne avec intérêt le chef d’entreprise occidental…). Un eldorado en somme pour nos Airbus, nos centrales nucléaires, nos TGV, nos Renault et nos Peugeot, nos Michelin, notre « art de vivre à la française » et notre tourisme (la France est la première destination touristique des Chinois), sans oublier des produits plus basiques.

    Sauf que « nous » avions oublié un petit détail : la Chine n’est pas un mouton à qui l’on fait brouter n’importe quelle mauvaise herbe. La Chine n’est pas, non plus, le Maroc ou la Tunisie qui n’ont pas, malheureusement pour eux, la puissance du géant asiatique. « Nous » avions aussi oublié que jusqu’en 1850, la Chine était la première puissance mondiale. « Nous » avions oublié que les Chinois ont toujours été persuadés qu’ils étaient le centre du monde (un peu comme « nous »…). « Nous » n’avons pas été capable, avec un minimum de réflexion, d’envisager qu’un tel pays avec une telle histoire, un tel savoir-faire et un peuple fier et travailleur n’accepterait jamais de demeurer un simple faire-valoir de l’Occident mais qu’il réclamerait sa place à la table des grands avant, peut-être de se l’accaparer pour lui tout seul...

    Soyons clair jusqu’au bout. Un responsable de Wal-Mart, le numéro un mondial du commerce de détail demandait récemment dans un article de Time Magazine si le consommateur américain serait prêt aujourd’hui à payer un jean 180 $ si celui-ci était fabriqué aux Etats-Unis et non en Chine ? Encore que ce n’est même plus le débat. Car voici une réalité moins avouée (ou avouable ?) : si Wal-Mart est à lui seul le sixième client de la Chine ( !) c’est surtout parce que la plupart de ses fournisseurs ont délocalisé leurs usines sur le territoire chinois et non pas, encore, parce que ce pays a créé lui-même cette concurrence. Et, de plus, ces délocalisations ne se sont pas faites au détriment d’emplois américains ou européens mais… de ceux des autres pays d’Asie comme la Corée du Sud, la Thaïlande ou Taipeh. La réalité, c’est que les fournisseurs de Wal-Mart avaient déjà délocalisé depuis longtemps leurs usines en Asie…

    Au lieu de gémir sur la montée de la Chine, on peut aussi décider qu’il s’agit d’un formidable stimulus pour nos sociétés, que le défi à relever est à la hauteur de nos ambitions. Encore faut-il que les enjeux soient correctement expliqués. Comment définir, dans ce cadre, le « parler vrai » du ministre de l’économie, Thierry Breton lorsque celui-ci nous explique que la croissance plafond pour 2005 sera de 2 % après avoir affirmé que 2 % serait la croissance plancher ! Alors, quand il affirme que « La France vis au dessus de ses moyens », tout le monde le sait depuis un bout de temps. Bien sûr, la comparaison avec l’impôt sur le revenu qui suffira à peine à payer les intérêts de la dette est une image forte. Mais elle n’est pas née d’hier. Alors, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour « parler vrai » ? Certains ne manqueront pas d’y voir un argument supplémentaire pour flexibiliser le travail. Et ils n’auront pas tout à fait tort. Sauf que cette flexibilité est devenue une obligation si nous voulons pouvoir résister à la Chine… Voilà le serpent qui se mord la queue !

    Cessons de nous lamenter sur la fin des temps (heureux) en méditant cette opinion d’un auteur pourtant peu suspect de bienveillance à l’égard du « grand capital » : « Deux nations sont séparées par un bras de mer ou une chaîne de montagnes. Elles sont respectivement libres, tant qu'elles ne communiquent point entre elles, mais elles sont pauvres; c'est la liberté simple: elle seront plus libres et plus riches si elles échanges leurs produits; c'est ce que j'appelle la liberté composée. L'activité particulière de chacune de ces deux nations prenant d'autant plus d'extension qu'elles se fournissent mutuellement plus d'objets de consommation et de travail, leur liberté devient aussi plus grande: car la liberté, c'est l'action. Donc l'échange crée entre nations des rapports qui, tout en rendant leurs libertés solidaires, en augmentent l'étendue: la liberté croît, comme la force, par l'union, Vis unita major. Ce fait élémentaire nous révèle tout un système de développements nouveaux pour la liberté, système dans lequel l'échange des produits n'est que le premier pas. » Son auteur ? Proudhon…

    De ce point de vue, la globalisation est une chance pour ceux qui sauront la saisir. Ce qui nécessite la mise en place d’une politique volontariste dans l’aide à l’innovation, la création de « pôles de compétitivité » et autres « clusters », l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leur développement international, une adaptation des structures économique, fiscale et sociale au niveau national et européen. Cependant, ce qu’il faut en priorité c’est une ouverture d’esprit. Comme l’explique le professeur Bertrand Badie, « Dans un monde de mobilité, il faudra de plus en plus apprendre à vivre avec l’autre ». Et si le défi de la globalisation, ce n’était pas essentiellement cet apprentissage ? Si tel est le cas, alors, la réponse du peuple français au référendum du 29 mai a de quoi nous inquiéter…


    Alexandre Vatimbella

  • Nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes

    Trois grands desseins attendent les politiques : réconcilier la France avec elle-même ; réconcilier la France avec l’Europe ; réconcilier la France avec le monde. Pour accomplir ces nouveaux travaux d’Hercule, il faut, avant tout, réconcilier les Françaises et les Français autour des valeurs de notre démocratie : la liberté, la solidarité, la tolérance, autant de marques de respect de la personne humaine. En résumé, nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes …

     

     

    Vaste tâche  que cette entreprise proposée à tous ceux qui s’intéressent au devenir de notre pays et qui ne se satisfont pas de la situation actuelle née d’une lente mais constante détérioration du climat démocratique et social. Ainsi le non au référendum du 29 mai 2005 n’est qu’une réplique – forte - du séisme du 21 avril 2002 avec la présence de Le Pen au second tout des présidentielles (alors que 2004 avait été ponctuée de plusieurs répliques de moindre importance). Pour continuer dans cette métaphore volcanique, les irruptions, plus ou moins violentes, avaient débuté bien avant, à la fin des années 70, depuis la fin des trente glorieuses, depuis que la modernité puis la post-modernité voir « l’hyper-modernité », frappent à nos portes avec tous les espoirs qu’elles portent en elles mais aussi toutes les angoisses qu’elles véhiculent dans un climat de crise économique, sociale et sociétale larvée.

     

     

    Cependant, si l’on veut remonter aux racines de cette crise identitaire, alors il faut bien parler, en France comme dans d’autres pays, du passage en un peu plus d’un siècle, d’un monde immobile où près de 80 % de la population était rurale à un monde en continuel mouvement – le capitalisme libéral se nourrit de croissance renouvelée et d’innovations constantes - où les agriculteurs ne représentent plus que 2 à 3 % de la population active, où le lien social a subi une mutation profonde et où les autorités morales ont été remplacées par une autonomie de plus en plus large de la personne sans que celle-ci soit toujours capable de l’assumer. Ce « déracinement » inexorable, pointé par de nombreux historiens, sociologues et autres anthropologues a produit une crise sociétale profonde qui ne demande que des ingrédients économiques et sociaux pour remonter à la surface et jaillir tel un geyser. Tant que les changements et les évolutions produisent du bien-être, ils possèdent une légitimité qu’ils perdent aussitôt qu’il convient de trouver un responsable aux difficultés du moment. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut analyser la défiance vis-à-vis du monde politique. Celle-ci est partagée par la plupart des peuples occidentaux. On l’a vu à l’occasion du référendum aux Pays Bas et tous les sondages montrent que les Américains, après l’avoir réélu triomphalement, estiment que George Bush ne s’attaque pas aux vrais problèmes de leur vie quotidienne…

     

     

    Une France réconciliée avec elle-même, disons-nous, oui mais pas avec un passé mythique fait de « grandeur » et de « puissance ». Une France réconciliée avec un présent et dans l’acceptation de la réalité, seule capable d’insuffler la dynamique dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Car il serait faux de ne voir uniquement dans le vote du 29 mai que de la mauvaise humeur. C’est un mouvement de fond venant d’une fracture sociale déjà identifiée - et pas traitée - mais, surtout, d’une fracture existentielle où une partie de la population rejette une société accusée de faire fi de tout un certain nombre de soi-disant « valeurs ».

     

     

    Rappelons-nous des élections américaines de 2004. Contrairement à tous les pronostics, l’élection ne s’est jouée, ni sur la guerre en Irak (la sécurité mise en avant par les Républicains), ni sur les problèmes économiques (la protection défendue par les Démocrates), mais sur les valeurs. Cette focalisation des électeurs fut bien identifiée par le conseiller électoral de George W. Bush, Karl Rove, qui permit au président sortant de se faire réélire facilement. Et, après avoir récusé cette analyse, le Parti Démocrate a décrété, tout récemment, qu’il fallait, lui aussi, qu’il se batte sur le terrain des valeurs pour imposer les siennes. A l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, c’est actuellement sur le terrain des valeurs que se joue l’avenir des pays démocratiques. Les électeurs français ont dit non à une vision dont ils estimaient majoritairement qu’elle mettait à mal les « valeurs «  qu’ils identifient à un soi-disant « modèle français ». Celui-ci, plus rêvé que réel, est fait d’un mélange – voire un magma ! - de liberté hédoniste et de solidarité communautaire, de responsabilité individuelle et d’assistanat étatique, de grandeur d’une nation symbolique et de défense de terroirs recroquevillés, d’un universalisme déclamé et d’une fierté exclusive. Ce cocktail, mêlant des objets aussi hétéroclites qu’antinomiques, démontre bien la confusion qui règne dans les esprits.

     

     

    Cette recherche du « modèle » n’est pas propre à la France. On la connaît en Allemagne, aux Etats-Unis, en Italie et ailleurs encore. Si les Français estiment qu’il est possible de retrouver par imprécations la grandeur du pays dans une globalisation où il ne compte plus pour beaucoup et que l’on peut réactiver sans effort une protection sociale alors que tous les indicateurs démontrent qu’il faudra réformer la société avant d’y penser, les Américains estiment, de leur côté, que leur modèle d’intégration fonctionne encore, qu’il est encore possible de réussir aux Etats-Unis lorsque l’on part du bas de l’échelle alors que toutes les études démontrent que la séparation en classes sociales n’a jamais été aussi grande, que l’ascenseur social n’a jamais été aussi délabré, que les riches s’enrichissent beaucoup pendant que les pauvres s’appauvrissent dans la même proportion.

     

     

    Des mythes – la France grande puissance mondiale et le modèle social français, le meilleur du monde – s’entrechoquent avec d’autres réalités qu’il nous faudra bien intégrer de gré ou de force. Ainsi, si la croissance est encore indispensable pour développer notre pays, comment, par exemple, produire de la richesse sans mettre à mal notre environnement. La notion de développement « durable » (qui ne veut pas dire grand-chose, il vaudrait mieux utiliser les termes de « soutenable » ou de « viable ») est une belle idée qui se heurte à la réalité des égoïsmes nationaux : quel peuple est actuellement prêt à abandonner sa « poursuite du bonheur » pour des dangers qu’il ne perçoit pas ou peu directement dans sa vie quotidienne ? Pourtant, les ajustements se feront de gré ou de force. Et il est toujours entendu que la volonté de faire est plus productive que l’obligation de faire, sauf pour ceux qui renoncent.

     

     

    Lorgnant un passé réinventé, une partie des Françaises et des Français espèrent y trouver  réconfort et protection. Cependant, quelles que soient leurs peurs – peurs partagées par beaucoup d’Européens -, ce serait une erreur de rechercher la solution aux problèmes dans un repli frileux et sur la célébration de la grandeur nationale perdue qui nous renverrait dans une vision belliciste des relations entre les peuples alors que nous devons nous unir afin justement d’éviter une déflagration dramatique. Nous avons besoin d’Europe pour notre sécurité et notre prospérité. Nous avons besoin de tous les autres peuples de la planète pour répondre aux défis du partage des richesses et de la protection de notre environnement.

     

     

    Réconcilier la France avec elle-même c’est donc la mettre en face de la réalité pour qu’elle avance et non la laisser dans ses chimères pour qu’elle recule. Et pas seulement sur le plan économique ou diplomatique. Une société qui se réfugie dans l’idéalisation d’un passé n’est plus capable de se prendre en charge et de porter un projet d’avenir aux plans économique, social et sociétal. Réconcilier la France avec elle-même, c’est refonder la démocratie autour des vraies valeurs que sont la liberté, la solidarité et la tolérance dans des institutions rénovées parce que représentatives de l’ensemble de la population. Cette refondation doit s’accompagner d’une véritable pédagogie et d’une indispensable légitimation de l’ensemble de la population. Sinon, elle sera encore vécue comme une agression quel que soit sont bien-fondé.

     

     

    Cette tâche, nous l’avons dit, est immense. Elle va bien au-delà des échéances électorales. Cette réconciliation ne se fera pas en cent jours, ni en 110 propositions… Mais elle se fera avec – et non pas sans ou, pire, contre - les 62 millions de Françaises et de Français qui veulent – comme dans d’autres pays démocratiques – participer à leur présent et à l’avenir qui se construit pour leurs enfants. C’est la première chose que doivent comprendre les élus de la nation. Ils doivent être porteurs d’un vrai projet pour leur pays. Et ils doivent avoir le courage de gouverner en expliquant la réalité de la situation de la France.

     

     

    Il est temps de se retrousser les manches…

     

     

     Alexandre Vatimbella