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L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. La démocratie peut-elle gagner son pari sur l’humain?

Des Allemands en transe lors des apparitions en public d’Hitler, des Russes effondrés par la mort de Staline, des Chinois brandissant jusqu’à l’épuisement le petit livre rouge de Mao, nous avons tous ces images historiques perturbantes en tête et qui font froid dans le dos.

Mais aujourd’hui quand on voit des Nord-Coréens faire les louanges de Kim Jon-Un, des Russes faire de même pour Vladimir Poutine et des Chinois extatiques à propos de Xi Jinping, un étrange malaise me prend.

Et quand on entend des Américains nombreux affirmer que Donald Trump est proche du peuple, qu’ils le recevraient chez eux pour passer une bonne soirée autour d’une bière et d’un petit plat préparé maison, on se dit que ce ne sont pas seulement les peuples des dictatures et des autocraties, parfois contraints par la force ou la menace, voire la peur, à l’extase de leur dirigeant suprême qui posent problème et que, même dans les démocraties rôde l’infâme.

Et ce ne sont que quelques exemples que l’on pourrait multiplier presque à l’infini.

Dans ces conditions, il n’est pas inutile de rappeler que les promoteurs de la démocratie faisaient, tous, un pari sur l’humain qui n’était nullement gagné d’avance mais reposait sur cet espoir que les peuples seraient exaltés à vivre dans la liberté et le progrès avec la possibilité de construire eux-mêmes leur avenir individuellement et collectivement.

Certains, enthousiastes, pensaient que la liberté susciterait un engouement sans limite qui montrerait aux peuples tout ce qu’ils n’avaient pas eu jusque là et tout ce qu’ils ne voudraient jamais revivre.

D’autres, plus mesurés, voulaient voir dans la démocratie un processus plus ou moins lent où, in fine, par l’élévation culturelle de ces peuples, ces derniers comprendraient que leur intérêt bien compris passait par un régime de liberté et de responsabilité.

Or l’Histoire ne semble pas aussi linéaire et déterminée, non seulement, que les enthousiastes le pensaient mais aussi que les mesurés le prédisaient.

Aujourd’hui, dans ce début du XXI° siècle qui aurait du être la victoire finale de la démocratie dans le monde et son approfondissement dans les pays qui l’avaient déjà mise en place, on ne peut être qu’inquiets et désabusés.

Ce pari est-il donc perdu et qu’est-ce que cela signifie?

A la première partie de cette question, on peut répondre «pas encore» même si cela paraitra trop optimiste à nombre d’observateurs qui voient les bêtes immonde de l’autocratie et de la dictature progresser sur la planète souvent avec la bénédiction des peuples alors que l’on espérait voir ces deux ordures pourrir définitivement dans les poubelles de l’Histoire avec, je l’avoue, un évident excès d’optimisme.

Souvent, elles avancent masquées comme dans cet odieux et fâcheux oxymore de la «démocratie illibérale» (sorte de pouvoir du peuple sans les droits de l’homme), que certains, plus lucides, appellent «démocrature» (de démocratie et dictature, dans cet ordre) et que je préfère nommer «dictacratie» (de dictature et démocratie, dans cet ordre, parce que si démocratie signifie «pouvoir du peuple» étymologiquement parlant, le terme est employé communément aujourd’hui pour définir un système qui garantit les droits de l’humain – terme préférable à celui des droits de l’homme – à chacun).

A la deuxième partie, la réponse est très compliquée, ce qui va réjouir les ennemis de la démocratie.

D’abord, il faut le constater, le pari n’a jamais été réellement gagné nulle part.

Dans aucun pays du monde nous ne vivons dans une démocratie républicaine libérale parfaite où seraient garantis la liberté, l’égalité et la fraternité ainsi que le respect et où chacun prendrait réellement ses responsabilités de citoyen et pourrait se réaliser dans ses capacités et ses compétences afin de construire une existence la plus heureuse possible.

Cependant, la foi dans le progrès des promoteurs de cette démocratie républicaine estimait que le temps ferait son œuvre positivement en ancrant les institutions démocratiques dans une république tout en élevant le niveau de conscience des peuples (par l’enseignement et l’information) qui seraient donc capables de comprendre leur intérêt de vivre dans une telle organisation de la société.

Or, on en est encore loin et, surtout, les sursauts de l’extrémisme, du populisme (alors que le nazisme et le fascisme n’ont été vaincu il y a moins de 80 ans et le communisme il y a moins de 30 ans…), du rejet de l’autre et une montée de l’autonomisation égocentrique, assistée, irresponsable, insatisfaite et irrespectueuse d’un individu adepte d’un libertario-hédonisme tend à être plutôt pessimiste sur l’avenir de la démocratie républicaine.

Sans oublier, évidemment, la structuration d’un communautarisme exclusif et excluant que pratiquent de plus en plus de groupes sociaux et culturels.

Comprenons-nous bien: tout cela ne remet pas en cause la légitimité de la démocratie républicaine libérale à être le meilleur système politique que l’on peut mettre en place dans les sociétés actuelles (et sans doute futures).

Non, cela remet en question la capacité des peuples à comprendre que leur intérêt (de chaque individu et de la collectivité tout entière) est de vivre dans ce système.

Et quand on parle d’intérêt, on parle d’intérêt sur le long terme et non de gains systématiquement immédiats qui permettent à tous les ennemis de la démocratie de séduire les peuples dès lors qu’une difficulté conjoncturelle apparait de retourner les peuples contre la démocratie avec des artifices indignes.

Pouvoir convaincre les peuples de cette réalité n’est guère chose facile et il semble que le défi est trop immense pour être gagné actuellement (rappelons à toutes fins utiles que lors du premier tour de l’élection présidentielle française de 2017, les candidats populistes et extrémistes charriant un discours anti-démocratique étaient majoritaires en voix).

De ce point de vue, Donald Trump n’est pas un accident de l’Histoire mais la résultante de cette incompréhension des peuples à comprendre leur intérêt sur le long terme.

En tant que pessimiste optimiste, je conclurai en disant que la fragilité inhérente à la démocratie et à ses valeurs, liberté, égalité, fraternité (ce qui en fait leur beauté), nécessité qu’elles soient constamment défendues mais aussi expliquées sans oublier d’être réellement pratiquées…

C’est à cette seule condition que l’on pourra espérer la sauver.

Je n’ai pas dit la sauver mais espérer la sauver et que, dans un millénaire, on ne parlera pas de la démocratie républicaine occidentale comme on parle de la démocratie athénienne, une parenthèse de l’Histoire.

 

 

 

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