Il y a un problème Obama et Obama a un problème. Le problème Obama est de savoir pourquoi a-t-il été élu. Le problème d’Obama est de savoir si une politique centriste peut avoir des chances de réussir aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde.
Le problème Obama d’abord. Elu en 2008 avec 53% des voix, beaucoup ont cru aux Etats-Unis et dans le monde qu’il avait été bien élu par un peuple devenu, tout à coup, à la pointe de la société métissée et post-partisane, adepte d’une transformation en profondeur de la société américaine.
Rien n’était plus faux. On se rend compte aujourd’hui qu’Obama a été élu après avoir mis sur pied et mené une formidable campagne électorale où chacun de ceux qui ont voté pour lui ont compris qu’il allait changer la société comme il le souhaitait, lui, l’électeur. Il a aussi été élu en éliminant Hillary Clinton, sa principale concurrente, sachant qu’ensuite, même un âne (l’emblème du Parti démocrate) aurait triomphé du candidat républicain.
Par une conjonction des situations qui ne se reproduira peut-être pas avant longtemps, il a réussi à gagner les primaires démocrates (en étant battu au nombre de voix) grâce à la mobilisation de la jeunesse qui a voulu croire en cette société métissée triomphante puis par une sorte de volonté de rédemption du peuple américain issue d’un rejet massif voire total des républicains discrédité par les huit années de présidence catastrophique de George W Bush dont la plupart des Américains avait honte en 2008. Sans oublier une crise économique sans précédent qui venait détruire, in fine, le peu de crédibilité restante de l’équipe au pouvoir.
Pour autant, Barack Obama a été «mal» élu. 53% des voix dans la situation des Etats-Unis d’il y a deux ans est le bas de la fourchette de ce que pouvait espérer n’importe quel candidat démocrate. Il aurait pu (dû) facilement atteindre les 58%-60% ainsi que tous les politologues l’ont démontré. Déjà, donc, un certain nombre d’électeurs qui voulaient le changement d’équipe n’ont pas voulu d’un président noir. Quant à beaucoup de ceux qui ont voté pour lui, ils souhaitaient leur changement et pas le sien.
On comprend dès lors que les incompréhensions et les résistances se sont faites jour rapidement, quelques semaines seulement après la prise de fonction de Barack Obama, et qu’elles ont atteintes des sommets rarement vus dans la société américaine pourtant habituée aux dérapages excessifs, avec des discours de haine, racistes, populistes, extrémistes. Et le président n’a jamais réussi à reprendre la main, peu aidé en cela par des médias devenus rapidement sceptiques pour ne pas être accusés d’Obamania, ce que, pourtant, ils avaient pratiqué durant toute la campagne.
Privé des relais médiatiques nécessaires, incapables de créer une dynamique politique, Barack Obama s’est lentement enfoncé dans les sables mouvants de l’opinion publique versatile. Et ce, d’autant plus facilement que, dans un contexte économique très difficile d’absence de croissance économique forte et de montée du chômage, sont remontées à la surface toutes les méfiances suscitées par sa victoire. Le tout avec une campagne de dénigrement total de la part des républicains qui, inquiets de voir Obama éventuellement réussir sa politique centriste et son rassemblement «post-partisan», ont décidé que leur salut ne pouvait passer qu’en jouant la politique du pire, la démagogie et l’extrémisme. Mais la gauche du Parti démocrate a fait pratiquement de même, déçue de ne pas voir en Barack Obama le chantre libéral qui allait pourfendre tous les néo-conservateurs.
Et c’est là qu’intervient le problème d’Obama. Pouvait-il réussir une politique centriste et gouverner consensuellement? Beaucoup de gens reprochent actuellement au président de n’avoir pas de récit fédérateur qui puisse définir un Obamisme. En réalité, ce discours existe mais, d’une part, il n’est pas assez martelé par Obama et, d’autre part, il n’est guère audible aujourd’hui car idéologiquement non marqué ce qui fait que de nombreux électeurs ne se reconnaissent pas dans celui-ci, car trop compliqué à comprendre dans un monde où le binaire est plus en vogue que la complexité.
Car, Barack Obama tient bien un discours centriste et rassembleur qui va à l’opposé de ceux de la Droite et de la Gauche qui se gargarisent de rhétorique «ultra», s’appuyant sur des clientélismes et des angoisses réelles dans la société, tout en n’accomplissant rien ou pas grand-chose une fois au pouvoir.
Obama doit-il donc devenir un politicien sans foi ni loi dont la seule ligne d’horizon est de gagner une élection quel qu’en soit le coût pour ses valeurs? Sans aller jusque là, ses amis politiques (il lui en reste!) lui demande de définir où il veut aller et de le dire et le redire. Pourtant, il l’a déjà fait à maintes reprises. Et, plus important, il a fait ce qu’il a dit qu’il allait faire. Il suffit de relire ses discours et ses professions de foi. Il n’a pris personne par surprise. Une qualité rare de nos jours dans l’univers politique.
Est-ce donc la politique centriste qui est la cause des ennuis d’Obama? Oui et non. Oui parce qu’une politique centriste en prenant des mesures pour trouver le juste équilibre qui permet de contenter le plus de personnes possibles dans une vision pragmatique, consensuelle mais totalement anti-démagogique se heurte évidemment aux intérêts particuliers de chaque côté de l’échiquier et est beaucoup plus difficile à expliquer. Non parce qu’Obama a aussi fait une erreur d’appréciation: les citoyens ne sont pas capables, pour la plupart, de comprendre une vision d’une politique uniquement par les réformes et les décisions prises. Il doit y avoir un discours global qui l’accompagne. De ce point de vue, le président n’a pas assez investi de temps pour rappeler cette vision qu’il avait pourtant développé pendant sa campagne, une Amérique modernisée, apaisée, réunie, regardant vers l’avenir, construisant son futur en faisant de la place à tout le monde et revitalisant le rêve américain. Une Amérique libérale-sociale, une Amérique centriste qui ne nierait néanmoins pas les spécificités du pays où l’aventure personnelle qui permet de réussir sa vie en prenant son destin en main demeure un sentiment puissant même si la réalité est moins exaltante que cela pour la grande majorité des Américains qui n’ont guère de chance actuellement d’escalader l’échelle sociale.
Critiqué par la Droite et par la Gauche, quelle est donc la vraie base électorale de Barack Obama? Lorsque l’on voit les critiques venues de la Droite et de la Gauche extrême, quand on analyse le programme et les réalisations du président américain, il est évident que sa base est centriste. Une base qui représente la majorité du corps électoral du pays mais qui, travaillé par les ultras des deux bords, ne croit pas qu’Obama mène une politique du Centre.
Des ultras qui, si l’on met leurs affirmations ensemble, ont dressé un portrait du président totalement surréaliste. Il serait ainsi un nouveau George W Bush (gauche) socialiste (droite), voire un Dick Cheney (gauche) communiste (droite), un va-t-en-guerre (gauche) pacifiste (droite), un être hybride mi-Hitler, mi-Staline (droite) néolibéral (gauche) musulman (droite) membre de la CIA (gauche), un conservateur (gauche) bradant les valeurs chrétiennes de l’Amérique (droite), creusant un déficit public abyssal (droite) mais pas assez dépensier pour mettre en place une relance de l’économie (gauche).
On pourrait continuer longtemps et s’en gausser si cette image totalement brouillée n’empêchait qu’émerge, dans l’opinion publique américaine mais aussi mondiale, un portait plus proche de ce qu’est Barack Obama. La responsabilité de cet entrelacement de clichés risibles mais destructeurs en revient d’abord à l’extrême-droite soutenue par le Parti républicain et, à un degré moindre, à la gauche soutenue par les activistes libéraux. Mais elle est aussi du fait de Barack Obama qui n’a pas su mettre en place des pare-feux efficaces, pensant que son action prouverait ses intentions et son positionnement, croyant surtout que son habileté communicationnelle ne ferait qu’une bouchée de tous ces ragots.
Barack Obama restera dans l’histoire des Etats-Unis quoi qu’il arrive. Pas seulement parce qu’il est le premier noir élu à la présidence mais surtout parce qu’il aura accompli un énorme travail (réforme de la santé, réforme de la sphère financière, plan de relance qui a évité une catastrophe aux Etats-Unis et au monde, etc.). Cependant, le présent n’a que faire de l’histoire qui se construit et les élections de mi-mandat de novembre prochain qui vont renouveler entièrement la Chambre des représentants et un tiers du Sénat risquent d’être catastrophiques pour Barack Obama et les démocrates.
Reste que, comme le rappelle la presse américaine, Ronald Reagan et Bill Clinton ont connu des défaites lors de leurs premières élections de mi-mandat ce qui ne les a pas empêché d’être réélus deux ans plus tard et de terminer leur huit ans de présidence avec des cotes de popularité très élevées. Barack Obama pourra donc rebondir. Le peut-il? Le veut-il?
Quand il a été élu en 2008, il a affirmé qu’il préférait être le président d’un seul mandat en accomplissant de vraies réformes qu’un président réélu sans rien faire. L’histoire serait sans doute tragique pour le premier président noir non réélu et pour l’image des Etats-Unis. Mais elle serait triomphante pour un président qui aurait accompli d’importantes et nécessaires réformes au prix de sa popularité et de sa réélection.
Barack Obama n’a certainement pas l’âme d’un martyr et tous ceux qui l’ont approché connaissent son goût du pouvoir et sa volonté de mener une action politique sur le long terme pour lettre les Etats-Unis sur les bons rails du XXI° siècle. Néanmoins, certainement pas à n’importe quel prix ce qui fait de lui un politique atypique. Un vrai centriste pragmatique, consensuel, réformiste et responsable en quelque sorte…
Alexandre Vatimbella
Voir le site Le Centrisme