La démocratie républicaine est un objet vivant en constante évolution et redéfinition. Aujourd’hui, devant les périls intérieurs et extérieurs qui la menacent, il convient d’élaborer une nouvelle étape de son développement, celle de la société équilibrée du XXI° siècle, où l’individu responsable partage un lien social solidaire avec la communauté dans laquelle il vit.
La démocratie, ce sont les droits attachés à l’individu. La république, ce sont les droits attachés à la communauté. Plus prosaïquement, la démocratie, c’est la liberté, la république, c’est le lien social. Liberté et lien social sont les deux mamelles de toute société équilibrée, c’est-à-dire libre, responsable, respectueuse de ses membres, solidaire et tolérante. Sans liberté, l’individu ne peut se réaliser et il ne peut faire profiter pleinement la société de ses talents. Sans lien social, la société ne peut se développer harmonieusement et de manière humaniste. Sans la conjonction des deux, la société ne peut être équilibrée à l’intérieur et forte vis-à-vis de l’extérieur.
Pourtant, entre la liberté des modernes et les vertus des anciens, entre démocratie et république, certains estiment que la confrontation ne peut qu’affaiblir soit les droits de l’homme, soit le pacte social. Ils voient ces deux mamelles plutôt comme concurrentes, voire antinomiques.
En réalité, les deux sont complémentaires. La démocratie doit être républicaine et la république doit être démocratique pour être équilibrée. Un équilibre si difficile à mettre en place qu’un penseur comme Tocqueville doutait que cela soit possible. Lui s’inquiétait de voir, par la démocratie, la mise en place d’un individualisme débridé qui prendrait le pas sur le lien social. Il n’a pas été le seul, loin de là, à penser que la libéralisation individuelle de nos sociétés occidentales au cours des deux derniers siècles a abouti à un délitement des valeurs qui fondent le pacte social au nom de l’individu-roi qui prendrait le pas sur la personne qui, elle, insérée dans la société qui lui donne sa reconnaissance, ne serait elle-même que dans la liberté et la solidarité, fondée par la réciprocité dans la responsabilité.
Néanmoins, il faut voir le système politique d’une communauté, et notamment la démocratie républicaine, comme un objet en constante évolution et en constante redéfinition. Cette tendance d’individuation que l’on constate n’est donc pas une fatalité.
Pour pouvoir maîtriser et conduire cette évolution et cette redéfinition, il ne faut pas oublier quelles étaient le principe du fondement démocratique de la société. La démocratie n’a de sens pour la communauté que s’il s’agit de promouvoir, chez chacun de ses membres, un individu responsable. Au niveau politique, par exemple, le système représentatif doit s’ouvrir de plus en plus à tous au fur et à mesure que de plus en plus d’individus acquièrent la capacité nécessaire à devenir des citoyens responsables et compétents grâce au système éducatif et à sa transmission du savoir. Construire un citoyen éclairé, c’est faire de lui quelqu’un capable de savoir où est son intérêt mais également d’être responsable et solidaire, donc d’être capable de prendre en main les destinées de la société si les urnes lui donnent la légitimité pour le faire.
Néanmoins, au fil du temps, la démocratie républicaine est devenue une grande surface où les citoyens sont devenus de simples clients qui demandent toujours plus et qui doivent être appâtés de plus en plus par des promotions. Résultat prévisible, le client demande de plus en plus de liberté, de moins en moins de responsabilité, de plus en plus d’égalité et de moins en moins de solidarité. Et les gouvernants le contentent par des jeux (d’où la place démesurée prise par le sport-spectacle) et par une sécurité égalitaire dans tous les domaines (économique, sociale, sociétale) sans lui demander, en retour, un investissement civique. Le tout dans une société où le principe de précaution tue la prise de risque qui est une des bases du progrès de l’humanité.
Mais le plus de liberté dans le plus d’égalité a montré ses limites. La liberté débridée aboutit à une individuation qui tue la liberté. L’égalité dans sa marche triomphale devient une inégalité. De même, la liberté débridée tue la solidarité indispensable et l’égalité triomphante tue la différence non seulement un des biens les plus chers de chacun de nous mais également le moteur créatif et dynamique que nous mettons au service de la société.
C’est le qualitatif qui peut nous sauver du quantitatif destructeur (ce dernier n’est-il pas responsable de l’utilisation inconséquente des ressources naturelles de notre planète?). Néanmoins, le qualitatif ne doit pas être un alibi pour n’être que la mise en place fictive de la pénurie du quantitatif comme on le voit chez les écologistes dogmatiques ou les conservateurs autoritaires.
Ainsi, ce n’est pas de moins de liberté dont nous avons besoin mais d’une meilleure liberté, celle qui permet vraiment d’être libre et responsable de cette liberté tout en évitant d’attenter à la liberté de l’autre et de la détruire tout en détruisant la sienne par contrecoup inévitable.
De même, ce n’est pas de moins d’égalité dont nous avons besoin mais d’une meilleure égalité qui garantit réellement l’égalité des chances sans pour autant empêcher la différence qui est une des caractéristiques ontologiques de chaque individu mais aussi la richesse d’une communauté. L’enrichissement par les différences doit toujours primer sur l’appauvrissement par l’identique.
La nouvelle étape de la démocratie républicaine doit être de garantir les libertés modernes mais celles-ci doivent participer à l’élaboration du vivre bien ensemble en étant au cœur même du lien social avec le respect de l’autre, la solidarité avec l’autre et la tolérance de ce qu’est l’autre.
C’est donc l’affirmation que seul un individu libre atteignant le statut de personne est capable d’être un être responsable, c’est-à-dire quelqu’un qui sait comment utiliser sa liberté afin d’être le plus libre possible mais dans le respect de l’autre.
Ce qui manque le plus aujourd’hui pour mettre en œuvre ce nouveau niveau de la démocratie républicaine, c’est cette notion fondamentale de responsabilité. Celle-ci ne peut s’acquérir que par le savoir, c’est-à-dire par l’éducation.
Car la responsabilité est à la fois tournée vers soi-même et vers les autres. Je suis responsable de moi-même et donc de mes actes. J’en prends la responsabilité. Et je suis responsable des conséquences de ce que je fais en tant qu’individu libre. Ce sont mes responsabilités vis-à-vis des autres.
Ainsi, l’être responsable a deux dimensions indissociables. Il est celui qui pèse les conséquences de ses actes, qui agit en être responsable. Et il est celui qui doit répondre de ces actes.
C’est pour avoir dissocié ces deux facettes de la responsabilité qu’aujourd’hui elle ne signifie plus pour la plupart des gens la responsabilité s’assumer ses actes sans oublier qu’avant d’assumer ceux-ci il faut être capable de réfléchir à leurs conséquences. C’est ici qu’intervient évidemment l’éducation.
L’être humains responsable n’est pas seulement celui qui doit rendre compte de ses actes mais aussi celui qui est capable de réfléchir à ses actes avant d’agir pour que ceux-ci soient responsables.
Reste que la déresponsabilisation d’un citoyen qui demande plus de liberté de faire ce qu’il veut tout en bénéficiant d’avantages liés à l’égalité s’inscrit dans un tout. Au sommet de l’Etat et des entreprises, non seulement, on n’est pas passé à cette nouvelle phase d’évolution de la société mais on régresse dans sa mise en place. Ainsi, un ministre déficient n’est pas limogé du gouvernement et quand il l’est, il est recasé ailleurs avec des émoluments souvent importants. Quand un dirigeant d’une entreprise fait des fautes, on le renvoie avec des indemnités souvent indécentes… La responsabilité des élites est toujours un exemple pour l’ensemble de la population.
Seule la notion de juste équilibre qui est l’apanage du Centrisme du XXI° siècle peut permettre de faire progresser nos sociétés démocratiques vers un développement responsable dans tous les domaines de l’existence.
L’être humain libre et responsable, capable de se réaliser tout en édifiant un vivre bien ensemble, est l’idéal du Centrisme depuis plus de deux siècles. Et, l’outil qui peut permettre de l’atteindre est ce juste équilibre.
Il faut être conscient que tout ceci n’est pas un débat théorique et académique, loin de là. Car, si cette nouvelle étape de la démocratie républicaine n’est pas au rendez-vous, concrètement, on pourrait assister à des régressions dangereuses. Soit c’est la licence (liberté sans responsabilité) qui s’impose avec un chacun pour soi dans l’irresponsabilité qui détruira les fondements de la démocratie républicaine. Soit on assiste au retour d’une république autoritaire en réaction à cette licence, véhiculant une idéologie de l’irresponsabilité constitutive de l’individu pour mieux encadrer son existence en limitant sa liberté.
La liberté a un coût, elle se nomme responsabilité. L’irresponsabilité à un coût, elle se nomme servitude.
Alexandre Vatimbella
Voir le site Le Centrisme